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    Eastern Boys - Prostitution, un rapport de classe ?

    en partenariat avec Courrier International

    Le procès du Carlton, à Lille, a été marqué par les témoignages de femmes que la précarité a contraintes à se prostituer. Le proxénétisme ne s’inscrit-il pas toujours dans un rapport de force économique ? Une tentative de réponse avec le film Eastern Boys de Robin Campillo.


    La prostitution, arme anti-crise ?


    Eastern Boys © Collection Christophel - Les-Films-de-Pierre - DR

    “Un soir j’ai ouvert le frigo et le frigo était vide.” En écho aux paroles de "Jade", 41 ans, mère de deux enfants et “escort girl” par désespoir, les témoignages des prostituées qui se sont succédé à la barre dans le procès du Carlton, à Lille, racontent tous la même chose : "J'ai commencé à faire ça parce que j'avais besoin d'argent". La crise et sa petite sœur la précarité auront donc été les invitées surprises d’un procès en proxénétisme aggravé, un procès qu’on s’apprêtait à lire sous le seul prisme de la domination masculine - dans ce qu’elle a de plus crasse. Dodo La Saumure, ordonnateur de “l’abattage”, aura pourtant tout fait pour minimiser l’horreur et passer pour un gentil proxénète rigolard. Lors d’une audition, il a parlé de “cheptel”, ça lui a échappé, et il s’est excusé de “faire de l’Audiard“ (sic).

    De dominants à dominés

    Comme Jade, Marek, lui aussi, fait ça pour l’argent. Le personnage principal d’Eastern Boys est un jeune Ukrainien paumé que les affres de la guerre ont parachuté en France. Il traîne aux abords de la gare du Nord avec toute une bande de petits caïds d’Europe de l’Est. Daniel, chemise blanche et cravate bien repassée, croise un jour son regard. Il décide d’acheter une passe, comme on commanderait un menu best of au Mac Do. “Pour 50 euros je fais tout”, dit Marek. Rendez-vous pris le lendemain à 18h chez Daniel.  

    Ce choix de mettre en scène une relation tarifée entre deux hommes évacue d’emblée la question de la domination masculine inhérente à la prostitution. Tout le film de Robin Campillo est de fait dominé par la question des rapports de classe. Marek, sans papiers, jeune, frêle, orphelin qui parle à peine le français, se soumet littéralement à Daniel, cadre moyen, quarantenaire bien portant et propriétaire d'un appartement aux portes de Paris.


    Payer le prix du désir


    Eastern Boys © Collection Christophel - Les-Films-de-Pierre - DR

    Une scène époustouflante préfigure toutefois la possibilité d’un renversement du rapport dominant/dominé. A 18h, le lendemain de la première rencontre, ce n’est pas Marek qui sonne à la porte de Daniel mais un gamin de 12 ans et bientôt toute la clique des “eastern boys” déboule. Il y a de l’alcool dans le frigo… Pris au piège, Daniel assiste médusé et impuissant à une fête sauvage qui dégénère en cambriolage. “C’est toi qui est venu nous chercher”, lui lance le Boss, le chef de la bande.

    Le jour suivant, Marek revient seul, se fait sodomiser, sans état d’âme, et empoche les 50 euros. Puis de nouveau le lendemain. Petit à petit la relation marchande va cependant s’effacer au profit d’une relation affective. Et même si en voulant aider Marek, Daniel frise un paternalisme bienpensant, il finira par assumer toutes les conséquences de cette rencontre. S’inscrivant dans l’héritage de Fassbinder, Eastern boys vient rappeler que le sexe est toujours politique. A part Catherine Deneuve dans Belle de Jour, a-t-on déjà vu des bourgeoises se prostituer ? Marchandisation du corps, la prostitution s’inscrit nécessairement dans un rapport de force social et économique. Le débat sur l’abolition de la prostitution peut-il faire l’économie de cette réflexion ?

    Lucie Geffroy, Courrier international
    @Geffroylucie