L'édito : Dans la brume politique
Par Fabien Gaffez, directeur artistique du Forum des images.
Nous sommes dans un train qui avance dans le brouillard. C’est le sentiment que nous partageons au moment de programmer un festival géopolitique, dans un contexte de crise au carré. Un sentiment à la fois romanesque et inquiétant, et somme toute assez banal. Ce vers quoi nous roulons, et qui s’appelle le futur, demeure invisible : le paysage est sous l’éteignoir, masse d’opacité grossière qui ne promet plus rien. Des formes apparaissent soudain, et le regard saisit ici un arbre, là un être supposément humain. Le train suit sa trajectoire imperturbable, posé sur les rails d’une certitude qui nous oblige et nous désigne. Le brouillard ne se dissipe pas ; le hasard et la violence ont gagné du terrain.
Difficile de penser dans un édito. Difficile d’avancer dans le brouillard d’une raison qui se délite et d’un coeur qui milite. Faire la leçon depuis le clavier de son ordinateur, programmer films et rencontres qui mettent en scène l’indignation, nous savons faire. Le doute a chassé la conviction, et c’est aux cinéastes, aux intellectuel·les, aux citoyen·nes que nous nous en remettons.
Adam Curtis a fait de ce doute une méthode d’investigation, une mise à l’épreuve du réel, une réfutation de l’information au nom de l’Histoire. Il pose les bonnes questions, mais ses réponses peuvent nous gêner : son mérite est de stimuler notre cerveau, endormi par le lait du mirage démocratique. Les cinéastes qui nous présentent leur film en avant‑première ont le même souci du monde, Alice Diop au premier chef, qui dissèque dans sa première fiction les parts d’ombre de chacun·e d’entre nous (et remet inlassablement sur le métier ce « nous » censé nous rassembler). Ou Jafar Panahi, toujours emprisonné pour « propagande contre le régime », qui démantèle avec ironie le mensonge organisé dudit régime et le colloque de l’hypocrisie internationale. De même, on peut reconsidérer les soubresauts idéologiques d’un pays, le Chili, à travers les questionnements intimes de Maite Alberdi ou Sebastián Lelio. Ces mêmes et sempiternels dilemmes qui traversent l’oeuvre de la réalisatrice palestinienne Maha Haj.
Autant de cartographies des vies invisibles, dont nous sommes parfois les contemporain·es aveugles. Aussi, nous roulons dans le brouillard des mots, qui ne veulent plus rien dire. Les mots sont faibles et c’est ce que nous propose d’analyser l’éditeur Anamosa, à travers sa collection de livres autour de laquelle s’organisent cinq rencontres. Cinq rencontres pour cinq mots, dont le sens perdu, parmi d’autres, fait dérailler les consciences. Ces quelques mots, ces quelques noms, pêchés dans notre programmation, finissent par dissiper un peu de la brume qui nous enveloppe.
Il faut descendre du train. Puisque nous comprenons qu’il n’est de brouillard que celui de la bêtise et de l’asservissement.